Quelques indications pour mieux comprendre Gorgias ou sur la Rhétorique  :

La composition du Gorgias est ordonnée comme celle d'une pièce de théâtre, en trois actes le tout couronné par un monologue qui étend au-delà de la vie l'intérêt que la justice a pour nous.

La date de sa composition correspond au moment où Platon renonce définitivement à la politique active à laquelle sa naissance l'appelait; il tient à justifier sa résolution, et c'est à ce dessein que répond le Gorgias .

Situation  :

Socrate et Khairéphon se rendent chez Calliclés pour y entendre Gorgias. Ils arrivent après la séance (leçon de Gorgias). Néanmoins Calliclés les introduit auprès de Gorgias, à qui Socrate souhaite poser une question.

Ce dialogue se compose de quatre parties :

1° partie : Socrate / Gorgias

Définition de la rhétorique : ouvrière de la persuasion.

(Nous reprendrons dans cette première partie la forme du dialogue, bien que nous modifions le texte, afin de mettre en relief le contenu dudit dialogue et en faciliter la comprehension dans un 1° temps)

Socrate demande à Gorgias ce qu'est la Rhétorique dont il fait profession.

Gorgias répond : c'est la science du discours.

Socrate : quel discours ? discours relatif à la médecine, à la gymnastique et aux autres arts ?

Gorgias : Non mais ceux qui ne se rapportent point au travail manuel et qui ont uniquement pour fin la persuasion.

Socrate : Mais toutes les sciences veulent persuader de quelque chose. Quel est le genre de persuasion que veut produire la rhétorique ?

Gorgias : Celle qui se produit dans les tribunaux et les assemblées et qui a pour objet le juste et l'injuste.

Socrate : Il y a deux sortes de persuasion, celle qui produit la croyance sans la science et celle qui produit la science. Quelle est celle qui est propre à la rhétorique ?

Gorgias : C'est la première, et elle assure aux orateurs une telle supériorité que, même dans les matières où les spécialistes sont seuls vraiment compétents, ils l'emportent sur eux et font adopter les mesures qu'ils préconisent.

Socrate : Si l'orateur est persuasif, s'il suffit qu'il ait l'air de savoir, quoiqu'il ne sache pas, en est-il de même lorsqu'il s'agit de juste et d'injuste ? ou faut il connaître le juste et l'injuste avant d'aborder la rhétorique ?

Gorgias : Il le faut.

Socrate : Mais quand on connaît la justice, on est juste et on ne saurait consentir à commettre une injustice. Cependant tout à l'heure, tu as avoué qu'un orateur pouvait faire de la rhétorique un usage injuste. Il y a contradiction dans tes paroles.

En effet Platon et Socrate estiment qu'il suffit de connaître le bien pour le pratiquer et que le vice se ramène à l'ignorance. Gorgias pourrait se défendre et dire qu'il n'est pas vrai qu'il suffise de connaître la justice pour ne jamais commettre l'injustice. Il pourrait rajouter qu'il est difficile parfois de discerner où se situe la justice. Il faut se décider sans être sûr qu'on prend le meilleur parti ; si l'on se trompe la rhétorique n'en est pas responsable.

2° partie : Socrate / Polos

Que sont le juste et l'injuste.

Le jeune Polos (un des personnages du dialogue) ne laisse pas le temps à Gorgias de répliquer. Indigné que Socrate mette en doute la valeur de la rhétorique, il lui demande de dire ce qu'il pense de cet art.

Pour Socrate la rhétorique est inutile et elle n'est pas un art mais une flatterie. Il n'y a que deux arts qui se rapportent à l'âme : la législation et la justice et deux qui se rapportent au corps : la médecine et la gymnastique. Or Socrate dit que la flatterie s'est glissée sous chacun de ces arts : la sophistique sous la législation, la rhétorique sous la justice, la cuisine sous la médecine et la toilette sous la gymnastique. Polos en conclut donc que pour Socrate les bons orateurs sont des flatteurs et, comme tels, peu considérés alors qu'en réalité, ils sont les plus puissants des citoyens.

Socrate n'est pas d'accord avec cette conclusion qui fait des flatteurs les citoyens les plus puissants et, pour expliciter ses dires, il prend l'exemple du tyran. Le tyran, soi-disant le plus puissant des citoyens, et bien souvent orateur et flatteur à ses heures, pratique l'injustice en vue de son intérêt ou de son bien. En effet, le tyran ne fait pas ce qu'il veut car il ne veut pas ce qu'il fait (tuer, massacrer, dépouiller…) mais il fait ce qu'il fait en fonction de son avantage ou de son bien (agrandir son territoire, ses richesses…). Or en tuant et en bannissant, il fait tout ce qui est contraire à son véritable bien puisqu'il fait une injustice. Il n'est donc ni puissant ni heureux.

Socrate insiste particulièrement sur ce point qu'il vaut mieux subir l'injustice, plutôt que de la commettre. Le plus heureux est celui qui n'a point de vice dans l'âme. Vient ensuite celui que l'on délivre de ses vices. Et pour finir, le plus malheureux (comme le tyran) est celui qui garde son injustice au lieu de s'en débarrasser.

Se pose alors la question de l'utilité de la rhétorique dans le cas où l'on commet soi-même une injustice. Pour Socrate, la rhétorique est inutile si elle sert à cacher les faits, sa faute, à flatter les juges ; par contre elle est utile si elle sert à s'accuser soi-même ; dans ce cas, la rhétorique permet de se délivrer de l'injustice et de guérir. Socrate poursuit en disant que si l'on veut faire du mal à quelqu'un qui a commis une injustice, la rhétorique permettrait à ce dernier de s'en sortir et de ce fait de rester « injuste » et donc malheureux. Ainsi Socrate suggère d'utiliser la rhétorique à l'égard de son ennemi pour qu'il conserve son injustice alors que si on ne le défendait pas par l'arme de la rhétorique, on le débarrasserait de ses vices.

Calliclès entre alors en scène.

3°partie Socrate/ Calliclès

On ne peut pas opposer la nature et les lois.

Il faut vivre sa vie selon la philosophie qui vise la justice et le bien et non comme la rhétorique qui ne vise qu'à plaire, qu'à paraître.

Calliclès reproche à Socrate sa manière captieuse de raisonner. Pour Calliclès, souffrir une injustice est plus laid que de la commettre selon la nature, tandis que selon la loi il est plus laid de la commettre. Il reproche à Socrate de ne pas préciser s'il utilise dans ses démonstrations la nature ou la loi comme repères.

Les lois sont faites pour les faibles et le plus grand nombre et c'est donc pour eux et dans leur intérêt qu'ils (les plus faibles) les font. Au contraire, dans la nature c'est le plus fort qui commande au plus faible.

Socrate se demande alors ce que Calliclès entend par « le plus fort ». Sont-ce les meilleurs et les plus puissants ? Dans les sociétés, c'est le grand nombre qui fait la loi, c'est donc lui le plus puissant. Or s'il fait des lois contre l'injustice, c'est qu'il estime qu'il est plus mauvais de commettre l'injustice que de la subir.

Calliclès se reprend alors et définit successivement les plus forts comme étant les meilleurs puis comme étant les plus sages et enfin comme étant les hommes qui savent mener les affaires publiques et qui sont courageux.

Ceux-ci doivent commander et avoir la plus grosse part. Socrate se demande alors s'ils ne doivent pas d'abord se commander à eux-mêmes et être tempérants.

Au contraire, répond Calliclès : pour être heureux, il faut laisser prendre à ses passions tout l'accroissement possible et les satisfaire ensuite.

Socrate réplique alors que quand on a la gale et que l'on peut se gratter à son aise, on est heureux, et de même quand on satisfait au désir les plus honteux. La théorie de Calliclès, continue Socrate, suppose que l'agréable et le bon soient identiques, ce qui n'est pas le cas. En effet deux choses contraires ne peuvent cohabiter dans le même sujet, la maladie et la santé par exemple. Or quand on satisfait un désir (quand on se gratte pour reprendre l'exemple de la gale et que l'on éprouve ainsi un certain plaisir), la perception du plaisir est simultanée au besoin et par conséquent à la peine que cause le désir (le désir de se gratter provient d'une « peine » qu'est la gale, le désir est donc honteux). Le plaisir et la peine coexistent, or le bien et le mal ne coexistant jamais, le plaisir et la peine sont différents du bien et du mal, l'agréable ne vaut pas le bon.

Calliclès signale alors qu'il y a des plaisirs meilleurs que d'autres, mais dire ceci, c'est avoué qu'il y a des plaisirs bons et des plaisirs mauvais. La conséquence c'est qu'il faut tout faire, même l'agréable, à la lumière du bien. Cette lumière du bien va servir à guider nos jugements. C'est ainsi qu'il faut juger les diverses professions et en particulier la rhétorique. Certaines comme la médecine visent au bien, d'autres comme la cuisine visent au plaisir. Quant à la rhétorique au lieu de viser au bien elle vise à plaire. C'est le seul but que nos orateurs-rhéteurs proposent, alors que le véritable orateur doit établir dans les âmes l'ordre et la règle, qui forment les hommes justes et tempérants.

Socrate poursuit alors, sur le devoir du véritable orateur. Ce dernier doit chercher à rendre meilleurs la cité et les citoyens. Aucun chef d'État ne peut être opprimé injustement par l'État qu'il gouverne. S'il est condamné, c'est qu'il n'a pas amélioré ses sujets comme il le devait, il n'a donc pas été un bon orateur.

Socrate prend ensuite son propre exemple en tant que véritable orateur et non orateur-rhéteur. Je suis peut-être le seul Athénien, dit-il, qui s'attache au véritable ordre politique, parce que seul je m'emploie à les convertir au bien. Ma meilleure défense sera de n'avoir commis aucune injustice dans ma vie. Si je suis condamné, je mourrai de bonne grâce, car on ne craint pas la mort quand on est pur de tout crime.

4° partie : le mythe

Si celui qui commet l'injustice n'est pas puni dans ce monde, il le sera dans l'autre.

Là où le raisonnement est impuissant, Platon a recours à la tradition populaire qu'il accommode à ses idées. Ceci explique la brièveté de cette dernière partie. Platon procède de la sorte à trois reprises différentes, ici dans Gorgias , à la fin de la République et du Phédon où il expose ce qu'il pense de notre survie dans l'autre monde.

La loi divine veut que les âmes soient jugées. Certaines, celles des justes, sont récompensées, d'autres sont punies temporairement ou définitivement. La justice humaine est donc dépassée par la justice divine.

Conclusion

La rhétorique est attaquée par Platon, mais il signale que la rhétorique n'est pas responsable des abus que l'on peut en faire, car la véritable rhétorique a comme but la justice et le bien. Pourquoi alors Platon s'attaque-t-il avec autant de passion à la rhétorique ?

Les sophistes d'un côté, les rhéteurs siciliens de l'autre, se partageaient les faveurs d'une jeunesse à la fois curieuse d'une forme d'éducation supérieure et désireuse de se préparer à la carrière politique. Il fallait rabaisser ces maîtres et proposer un autre enseignement. C'est ce à quoi servit le Gorgias . Platon voulait en effet regrouper des jeunes gens autour de lui pour les former à la recherche de la Vérité et de la justice. Il voulait trancher d'une manière absolue la démarcation entre philosophie et rhétorique et balayer la fausse rhétorique source de flatterie et non de vérité.