Quelques indications pour mieux comprendre Protagoras

On pourrait qualifier le Protagoras de comédie philosophique. Parodies et caricatures servent à égayer la gravité de la matière. L'idée du Protagoras semble avoir été empruntée à la comédie d'Eupolis, les flatteurs . Ces flatteurs n'étaient autres que les sophistes parmi lesquels le premier rôle était tenu par Protagoras. C'est chez le riche Callias que prend place le dialogue, et c'est sur les sophistes et en particulier sur Protagoras que se dirige la satire. Socrate les combat et les perce de son ironie.

Pour mieux comprendre la teneur du dialogue, il nous faut rappeler qui étaient les sophistes.Les sophistes s'intéressent à l'homme avant tout et aux diverses expressions de la vie spirituelle (art, politique, poésie, dialectique, rhétorique, religion). Ils cherchent à acquérir la plus grande somme de connaissances sur l'homme, dans le but d'apprendre et d'enseigner l'art de bien vivre. Ils furent comme leur nom « sophiste » l'indique, les maîtres de sagesse. Leurs disciples préférés furent les jeunes gens riches aux ambitions politiques marquées. Ils les dressaient au rôle d'homme d'État par des exercices de rhétorique, de dialectique. Le but suprême de tout homme politique etait de l'emporter sur son adversaire ; il arriva que les sophistes insistèrent moins sur la justice et la vérité que sur la vraisemblance et les artifices de la rhétorique.

Voilà les hommes que Socrate combattait. Les sophistes avaient une influence considérable et leurs disciples leur étaient très attachés. Le plus illustre était peut-être Protagoras. Accusé d'impiété pour un écrit qui commençait ainsi « pour les dieux, je ne sais s'ils sont ou s'ils ne sont pas. ». Disciple d'Héraclite, il professait que l'homme était la mesure de toute chose. Cette théorie aboutit à la négation de toute vertu et de toute moralité absolue.

Platon lui consacra deux dialogues pour réfuter ses théories : le Théétète où il attaque sa théorie de la connaissance et le Protagoras où il attaque sa théorie de la vertu.

Dans ce dernier, la discussion porte sur l'enseignement des sophistes et particulièrement sur celui de Protagoras. Protagoras prétend être un professeur de vertu.

Socrate se demande si Protagoras est instruit de ce qu'il enseigne et s'il peut définir ce qu'est la vertu. Socrate présente son ami le jeune Hippocrate à Protagoras et lui demande de s'expliquer sur son art. Protagoras, flatté, propose de s'expliquer devant tout le monde.

Socrate renouvelle sa question et lui demande quels avantages Hippocrate doit retirer de son commerce. Protagoras prétend qu'il lui apprendra à gouverner ses affaires et celles de l'État. Socrate signale alors qu'il s'agit de politique, Protagoras est d'accord.

Socrate pensait que cette science, la vertu, ne pouvait être enseignée. En effet, dans les assemblées, on n'écoute que les gens de métier dans les affaires qui exigent des connaissances (un architecte pour la construction de nouveaux édifices par exemple) alors qu'en matière de politique, on écoute tout le monde, sans exiger aucune étude ni aucune connaissance de la politique, la politique étant par définition le domaine de tous les citoyens.

Protagoras répond par une fable dans laquelle il précise que Jupiter , pour permettre aux hommes de vivre en communauté, ensemble, leur donna à tous la pudeur et la justice, base de la politique. Voilà pourquoi dans les assemblées on écoute indifféremment tout le monde. Mais ce qui prouve que ces vertus (la justice et la pudeur) peuvent être enseignées, c'est qu'on punit ceux qui ne les ont pas. Or si l'on punit c'est bien dans le but d'améliorer le coupable et de convaincre les autres de ne pas l'imiter, C'est le but de toute l'éducation, de tout l'enseignement d'Athènes. Pères, mères précepteurs et tant d'autres, s'y emploient. Bien que la vertu ne soit pas héréditaire, elle requiert un terrain favorable et quelques aptitudes.

Socrate persuadé demande alors en quoi consiste la vertu.

Protagoras propose les qualités comme la tempérance, la justice, la sagesse, le courage, la sainteté comme des parties de la vertu qui elle est une. Elles sont comme des parties du visage par rapport au visage tout entier.

Mais pour Protagoras on peut ne posséder qu'une partie de ces qualités : être courageux sans être juste par exemple. La sagesse étant la qualité la plus importante.

Protagoras doit avouer qu'aucune des parties de la vertu ne ressemble aux autres : cela voudrait-il dire que la sainteté ne pourrait pas être juste ?

Protagoras reconnaît alors qu'il y a quelque ressemblance entre la justice et la sainteté, mais elles sont pour l'essentiel dissemblables.

Socrate demande s'il n'existe qu'un mince rapport entre le juste et la sainteté.

Protagoras semble vouloir en rester là pour l'instant. Il n'est pas vraiment satisfait des réponses qu'il avait faites.

Il s'ensuit alors quelques mouvements où Protagoras semble vouloir se retirer mais le dialogue reprend. Protagoras propose l'interprétation d'une poésie, parce que, dit-i,l la poésie et son explication font partie de l'éducation. Il veut démontrer que Simonide se contredit lorsqu'il écrit qu'il est difficile de devenir vertueux, alors qu'il blâme Scopas de tenir ces mêmes propos. Socrate suppose une interprétation orientée afin de rester fidèle à sa conviction que la vertu est une connaissance et le vice ignorance. Il déclare ensuite qu'il n'y a aucun profit à tirer de l'étude des poètes, parce que chacun les interprète comme il l'entend et demande à Protagoras de revenir à l'unité de la vertu.

Protagoras ne reconnaît que quatre vertus, la justice, la tempérance, la sagesse et la piété. Elles sont assez semblables entre elles, mais le courage est différent. Socrate veut alors démontrer que le courage peut se confondre avec la sagesse, car le courage qui n'est pas accompagné de raison et de connaissance peut s'apparenter à la folie.

Mais Protagoras rejette cette conclusion car il soutient qu'il existe deux « choses » différentes. La hardiesse qui vient de la science et le courage qui vient de la nature.

Socrate propose une autre démonstration. Il part de ce principe que la science est toute puissante sur l'homme qui la possède. Cette science permet de distinguer ce qui est agréable de ce qui ne l'est pas et lorsqu'un homme fait le mal, vaincu par le plaisir, c'est qu'il s'est trompé dans ses mesures des choses agréables. Il a été vaincu faute de science. Il propose alors de continuer sur l'idée de crainte. Lorsque l'homme craint une chose, c'est qu'il la croit mauvaise. Les lâches ne sont lâches que par ignorance des choses à craindre. Le courage est le contraire de la lâcheté, il faut qu'il soit la connaissance des choses à craindre et de celles qui ne le sont point.

Conclusion

Toute vertu est une science : voilà la conclusion de ce dialogue. Cette opinion est contraire à ce que professaient les deux protagonistes au départ. Socrate pensait que la vertu ne pouvait s'enseigner, alors que par la suite il la définit comme une science : de ce fait elle peut être enseignée. Quant à Protagoras, il prétend que la vertu est tout sauf une science et qu'elle est rebelle à tout enseignement.

Ce dialogue ne répond pas précisément à la double question « qu'est-ce que la vertu ? et est-elle une ? » Mais ce dialogue répond à une question essentielle : la vertu est une science et par conséquent elle est susceptible d'être enseignée. Platon ne pense pas que les sophistes soient capables de le faire tout simplement parce qu'ils sont incapables de définir la vertu et qu'ils pensent avant tout à parader et à éclipser leurs rivaux. En revanche, dans ce dialogue, Platon confirme sa conviction qu'il suffit de connaître le bien pour le pratiquer et que par conséquent la vertu est une science et que le mal est ignorance.

On ne peut pas à proprement parler de conclusion, puisque le Protagoras connaîtra une suite avec le Ménon .